L'agrobusiness oui, mais l'agriculture familiale d'abord.



Produire en quantité et en qualité est devenu une nécessité pour l’agriculture ouest africaine en général et sénégalaise en particulier en vue de répondre à la croissance des besoins alimentaires. Si la vocation première de l’agriculture était de nourrir la population, notamment à cause de la forte croissance, elle se voit aujourd’hui dans l’obligation d’assurer des revenus, de créer des emplois pour réduire les flux migratoires en milieu rural et d’être capable de produire des excédents destinés à l’exportation. Comme toutes les agricultures du monde, et malgré la mise en place d’unités d’agro-industrie, l’agriculture sénégalaise est avant tout familiale. La globalisation des économies tend cependant à opposer de plus en plus une agriculture productiviste dotée de moyens de production à fort contenu en capital et intégrée aux marchés (agrobusiness) et des agricultures familiales plus « classiques », relevant d’un modèle général commun et qui seraient présentés à priori moins efficaces économiquement, moins aptes à affronter les contraintes et à profiter des opportunités du nouveau contexte économique et institutionnel.
Mais d’abord revenons sur ces concepts d’agriculture familiale et d’agrobusiness. 

L’agriculture familiale se caractérise par une diversité dans les activités agricoles entendues ici au sens large. Elle utilise pour se faire la main d’œuvre familiale, c’est une agriculture de subsistance assurant d’abord la sécurité alimentaire de la famille. Cette première forme reste prédominante dans le pays vu qu’elle concerne 95%  des exploitations  et nourrit 60% de la population. Sa présence un peu partout dans le pays témoigne donc de sa capacité d’adaptation selon les zones et les réalités socio-économiques. L’agrobusiness quant à elle est une agriculture d’exportation, c’est une agriculture mécanisée et ayant des charges d’exploitation très élevées. Ce type d’exploitation beaucoup moins présente confère au pays une diversification dans les spéculations exploitées et le place ainsi dans le concert des pays exportateurs. Cette "coexistence" entre agriculture familiale et agrobusiness est souvent émaillée de conflits précisément à propos de l’attribution des terres. Toutefois il ne s’agira pas ici de mettre en compétition ces deux grands types d’exploitation, mais de comprendre que l’une et l’autre peuvent jouer le rôle de moteur pour le développement agricole. 

Même si du reste la priorité doit être du côté de l’agriculture familiale. Les études menées jusque-là ont montré la relative capacité d’adaptation des exploitations familiales malgré les changements rapides qui s’opèrent dans le milieu. En effet le point focal ici reste la famille. Pour cette agriculture, bien au-delà de l’importance capitale des intrants, le facteur humain (famille) est l’élément qui détermine sa survie. Cette vision s’appuie sur une perception globale du rôle de l’agriculture dans la société, productrice non seulement de biens alimentaires marchands, mais assurant aussi de nombreuses autres fonctions économiques, sociales et environnementales : sécurité alimentaire, emplois, gestion des ressources naturelles, aménagement du territoire, etc. Il s’agit ici d’entrer en symbiose avec la nature, partir de ce qu’elle nous offre, suivre sa dynamique, reproduire des systèmes sans avoir besoin d’ajouter une quelconque autre symphonie que celle qui vient à nos yeux. Que bien à côté de cette connotation mercantiliste qu’on veuille lui donner c’est d’abord une activité ayant un cachet humaniste.


Les réponses favorables apportées par l’agriculture familiale viennent du fait qu’elle a la possibilité en cas de climat économique défavorable de réduire par exemple les salaires de sa main d’œuvre tout en gardant un certain niveau de productivité, l’agrobusiness à contrario doit faire face à des charges plus importantes (remboursement des emprunts d’équipement, entretien du matériel) ainsi que le payement de sa main d’œuvre salariée. La vallée du fleuve Sénégal est un exemple patent de la capacité des petites et moyennes exploitations à identifier des stratégies alternatives quand les prix ne sont pas satisfaisants, lorsque de nombreuses exploitations motorisées doivent faire face à leurs dettes. Il faudrait comprendre que la viabilité d’un tel modèle de coexistence repose sur l’accès au crédit en plus de la possibilité d’extension des terres en faveur des exploitations familiales. 


La dynamique d’une agriculture familiale plus performante doit s’appuyer sur un volontarisme politique fort qui définit une exploitation raisonnée des ressources naturelles. Aussi ce système hybride n’anéantit pas la possibilité de maximiser les productions de ces deux systèmes d’exploitation. La compétence des exploitations familiales pourrait ainsi être exploitée en matière de vulgarisation des innovations technologiques et à grande échelle (semences, itinéraires techniques etc.) d’une part et d’autre part, l’agriculture familiale continuera de jouer un rôle clé dans les stratégies du secteur agro-industriel et sera un important moteur de cohésion sociale au sein du monde rural. Pour l’agrobusiness son importance vient du fait qu’elle est porteuse de changements dans le paysage agricole de la zone à travers l’introduction de nouvelles spéculations et de nouvelles stratégies. Sans oublier qu’un partenariat entre ces deux types d’exploitation réussira à coup sûr un transfert de compétences gagnant-gagnant. L’implantation de ces derniers types d’exploitation nécessite cependant une bonne gestion de la question foncière, aussi les populations locales devraient profiter des retombées de cette installation dans leur zone. 

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